Nectalis 4 - Journal & Livre de bord
Friday, 16 October 2015 16:08

Carte de la campagne Nectalis 4

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26/10/2015

Nous voilà donc revenus au port après 2 jours de route. Nous sommes bien sur déçus avec seulement 4 stations échantillonnées au lieu des 19 prévues originellement. Nous espérons tout de même pouvoir exploiter les résultats puisque les 4 stations ont été réalisées dans un même tourbillon, sur les bords et au centre. Nous nous attendons donc à voir des différences entre les stations.

L’Alis va être sortie de l’eau pour être réparée, et si nous ne pouvons pas repartir tout de suite car d’autres missions sont programmées, nous espérons faire une Nectalis 5 en 2016.

20151026Les 4 stations effectuées sur les bords et le centre du tourbillon anticyclonique.

 

Nous sommes toujours sur la route du retour, à faible allure pour ménager les machines. Si nous n’échantillons plus, le travail continue cependant, en particulier pour Martine qui s’occupe de la chimie et du phytoplancton.

L’une des expérimentations conduite à bord consiste à estimer la production primaire, c’est à dire la quantité de matière (sous forme de carbone) qui est incorporée par le phytoplancton. Le phytoplancton est constitué de micro-algues qui sont à la base du réseau alimentaire et qui sont consommées par les herbivores et les omnivores du zooplancton. Connaitre la quantité de carbone absorbée par les micro-algues est notamment importante pour déterminer si la zone est riche et si un important réseau alimentaire peut s’y développer permettant la présence de grandes quantités de poissons. De plus, les zones où beaucoup de carbone est absorbé par le phytoplancton contribuent à diminuer la quantité de carbone atmosphérique et temporisent le changement climatique.

Nous mesurons donc l’absorption de carbone par ces micro-algues du phytoplancton pendant 24 heures. Pour cela nous prélevons de l’eau de surface qui contient des micro-algues. Cette eau est placée dans un flacon transparent de 2 litres dans lequel nous injectons du carbone marqué et de l’azote gazeux marqué, à l’aide d’une seringue. Les flacons sont ensuite placés sur le pont pendant 24 heures dans un aquarium recouvert d’un film bleu qui reproduit la lumière présente à 5 m de profondeur. Au bout de 24 heures l’eau est filtrée, ce qui arrête la croissance des micro-algues. Les filtres seront ensuite analysés en laboratoire pour mesurer la quantité de carbone marqué absorbé par les micro-algues et nous pourrons ainsi connaitre la quantité de matière produite par ces micro-algues. Avec l’azote marqué nous serons en mesure de connaitre la croissance d’une variété particulière de micro-algues, les diazotrophes qui sont uniques en leur genre puisqu’elles ont la capacité d’absorber directement l’azote de l’air dissous dans l’eau qui est toujours en abondance alors que les autres micro-algues doivent, pour grossir absorber de l’azote sous forme d’ammonium ou de nitrate qui est parfois en faible quantité dans l’eau et peut limiter la croissance de ces algues.

20151025_1Elodie injecte du carbone et de l’azote gazeux marqué dans des échantillons d’eau de surface contenant du phytoplancton pour en mesurer la croissance ou production primaire.

20151025_2Au premier plan Martine agite les bouteilles injectées avant de les placer dans l’incubateur.

20151025_3L’enceinte d’incubation des flacons de mesure de production primaire

Après la station 3 effectuée hier après-midi au cœur d’un tourbillon anticyclonique, nous avons fait route pendant la nuit pour arriver ce matin à 6h à la station 4 toujours dans le même tourbillon. Nous avons de la chance, c’est pétole, la mer est un lac. L’eau est très transparente et on peut voir à la surface et sous la surface de nombreux organismes gélatineux dont des méduses. Cependant cette bonne nouvelle est éclipsée par un rapport très pessimiste de l’équipe des mécanos. En effet il y a un problème mécanique important qui risque de mettre fin prématurément à la campagne. Pendant qu’ils continuent à évaluer le problème et à communiquer avec des responsables à terre, nous commençons nos manipulations avec l’espoir qu’ils réussissent à régler le problème.

20151024_1Un temps magnifique ce matin

20151024_2La récupération du chalut

Nous commençons par faire 2 profils verticaux avec la CTD pour prélever de l’eau puis un chalut profond à plus de 500 m dans lequel on trouve quelques poissons hachettes et beaucoup de méduses.

20151024_3Meduses

Cependant à la remontée du chalut le verdict tombe, il nous faut arrêter la campagne pour rentrer à Nouméa, sortir le bateau de l’eau et effectuer les réparations. Tout le monde est désolé de la situation mais il n’y a pas d’alternative. Nous faisons donc route vers Nouméa a petite allure, il nous faudra pas loin de 2 jours pour rentrer à quai. Nous espérons que nous pourrons réorganiser une nouvelle campagne pour finir le travail engagé.

Comme prévu, nous sommes arrivés vers minuit à la station 2 et nous avons commencé par 2 coups de chalut dans les couches de surface étant donne que la majorité des organismes profonds pendant le jour remontent dans les 150 premiers mètres de nuit. Un premier coup de chalut vers les 100 m nous a ramené beaucoup de Myctophidae (poissons lanternes) et beaucoup moins d’organismes gélatineux que lors des chalutages de jour. Le deuxième coup de chalut effectué sur les 25m a ramené une plus petite quantité d’organismes mais avec de bonnes surprises. Notamment 2 splendides argonautes d’environ 6cm chacun. Les argonautes sont des céphalopodes de la famille des poulpes qui vivent en pleine eau et dont les femelles ont la particularité de secréter une magnifique coquille blanche translucide dans laquelle elle dépose ses œufs. Les 2 spécimens étaient bien vivants et nous les avons conservés dans un petit aquarium le temps d’une séance photo, puis nous les avons relâchés. Nous avons également trouvé quelques poissons peu communs comme une petite rascasse.

Après les problèmes techniques de la première station qui a duré presque 24 heures, la station 2 s’est déroulée sans accrocs et nous avons pu réaliser toutes nos mesures et échantillonnages en un peu moins de 6 heures.

20151023_1Deux argonautes femelles d’environ 6cm capturés dans le chalut à 25 m et relâchés vivants.

20151023_2Un petit poisson, probablement de la famille des rascasses, avec des taches noires sur sa nageoire pectorale.

Finalement hier soir, après 5 heures dans l’eau, au lieu de 30 minutes, nous avons réussi à récupérer le chalut. Après tout ce temps dans l’eau et notamment au moment où le micronecton des grandes profondeurs remonte en surface, le chalut contenait une bonne quantité de micronecton, en majorité des Myctophidae, ou poissons lanternes qui sont des petits poissons noirs avec de nombreux photophores. Nous avons également pu observer d’intéressants calamars et de petites crevettes. Il nous a fallu pas moins de 3 heures pour trier la pêche et nous sommes allés nous coucher après minuit. Pendant ce temps l’équipe des mécanos essayaient de trouver la panne et a travaillé sur le problème une bonne partie de la nuit.

20151022_1Capture du deuxième chalut avec beaucoup de Myctophidae et d’organismes gélatineux.

Ce matin l’hydraulique fonctionnait et nous avons pu reprendre le reste des manipulations avec 2 descentes de CTD jusqu’à 600 m de profondeur qui nous fournissent le profil vertical de température, de salinité et de fluorescence (qui indique la quantité de phytoplancton) et qui permettent de prélever de l’eau a différentes profondeurs. Cette eau est filtrée pour collecter les pigments de chlorophylle notamment et la matière organique particulaire.

Enfin après 24 heures passées sur cette station, nous prenons la route pour la station suivant ou nous devrions arriver vers minuit.

20151022_2La rosette portant la CTD (non visible sur la photo) et des bouteilles de prélèvement d’eau.

20151022_3Martine préparant de l’eau pour les filtrations.

La houle et le vent se sont calmés. Nous sommes tous soulagés car les conditions de vie à bord et les conditions de travail se sont nettement améliorées. Notre chef cuistot nous a concocté des tartelettes aux fraises pour l’occasion.

20151021_1Jacques, notre chef cuistot avec d’appétissantes tartelettes aux fraises pour le déjeuner.

Nous sommes arrivés à notre première station vers 13h30 et nous avons commencé par 2 coups de chaluts à micronecton à 550 m où la détection acoustique était la plus forte, et à 200 m de profondeur où le signal acoustique était nul. En effet pendant la journée on observe très peu d’échos de micronecton entre 100 m et 400 m. Nous avons malheureusement eu un problème d’hydraulique qui nous a obligé à arrêter la remontée du deuxième chalut. Les mécaniciens sont en train de travailler dessus alors que le chalut est toujours dans l’eau. Il nous faut attendre la réparation pour récupérer le chalut et continuer notre travail.

20151021_2Signal de l’échosondeur SIMRAD EK60 pour 2 fréquences (38kHz en haut et 70kHz en bas) montrant que, de jour, la majorité du micronecton se situe entre 500 et 600 m de profondeur ; quelques traces sont visibles dans les 100 premiers mètres et rien n’est observé entre 100 et 500 m.

20151021_3Capture du premier chalut à 550 m

Hier en fin d’après-midi nous avons quitté l’abri de la baie de Sainte Marie pour nous diriger vers la première station. Nous avons profité de la mer calme du lagon pour faire un exercice d’abandon qui consiste, au retentissement de la sirène (6 courts, 1 long), à s’emparer de son gilet de sauvetage et de sa combinaison de survie pour se rassembler sur la plage arrière. Nous avons alors eu la surprise de voir apparaitre une baleine à bosse à côté du bateau, et au même moment un énorme paquebot de croisière passait derrière nous pour quitter le lagon par la passe de Dumbéa. Après un diner dans le lagon nous nous sommes jetés dans la forte houle du dehors avec un alizé bien établi. Nous avons vite réalisé qu’il serait très difficile de faire la première station dans ces conditions avec un fort risque de casse lors de la mise à l’eau des différents engins. Nous avons donc décidé de poursuivre notre route pour aller vers la station 2 qui se situe à 38 heures de route, à l’extrémité sud-ouest de notre zone d’échantillonnage. Aujourd’hui nous avons navigué toute la journée avec toujours une forte houle.

Au vue de la météo et sous la menace d’une dépression tropicale dans le sud-est de la Calédonie, nous nous sommes vus contraint de changer le plan de campagne. Nous avons décidé de cibler 2 tourbillons situés dans le sud-ouest de la zone économique. Nous échantillonnerons les 2 tourbillons et le front situé entre les 2.

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Après une petite heure de navigation au calme dans le lagon, nous mouillons à 9h15 en baie de Sainte Marie, à l’abri des ilots pour effectuer la calibration de l’échosondeur SIMRAD EK60. Il s’agit donc de s’assurer que le réglage de l’échosondeur n’a pas dérivé depuis la dernière calibration et que les informations fournies sont correctes. Par un système de poulies reliées à des petits moteurs placés de chaque côté du bateau, une bille de tungstène de la taille d’une balle de golf est descendue sous la coque du bateau pour passer dans le faisceau de l’échosondeur..

20151019_2David et Christophe travaillant à la calibration de l’échosondeur

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Elodie et Guillaume préparant des flacons pour les échantillons

Nectalis4 est probablement la dernière campagne de cette série qui constitue une formidable aventure ayant exploré les profondeurs et la surface des eaux du large de Nouvelle-Calédonie. Après trois campagnes réussies dans les parties nord et sud de l’ouest de la zone économique, nous complétons notre exploration des eaux pélagiques en nous dirigeant vers le sud-est de la Nouvelle-Calédonie. Nous allons donc étendre spatialement notre exploration, mais notre but est également de cibler plus spécifiquement les tourbillons pour essayer de comprendre leur influence sur la physique, la chimie et la biologie de l’écosystème.

Les tourbillons sont des portions d’eau circulante qui se détachent du courant principal et s’enroulent sur elles-mêmes. En perturbant le flux du courant, la topographie du fond des océans, comme les monts sous-marins ou les iles, peut contribuer à la formation des tourbillons, notamment sous le vent de ces obstacles. Ces tourbillons sont formés d’eau dont la température est diffèrente de l’eau environnante. Ils font généralement ~100-200 km de diamètre ; ils peuvent évoluer pendant plusieurs semaines et vont typiquement se déplacer à la vitesse de 1 m/s (3.6 km/h ou 86 km par jour). Nous pensons que, dans certaines conditions, les tourbillons peuvent amener des nutriments à la surface et ainsi créer un environnement favorable à un développement plus important de phytoplancton, zooplancton et micronecton. Cet écosystème florissant pourrait attirer les thons et les autres grands prédateurs pélagiques ou les oiseaux marins. La littérature scientifique nous fournit des informations contradictoires sur l’impact des tourbillons sur l’écosystème donc nous avons pensé que nous devrions aller vérifier par nous-même ce qui se passait là-bas.

Notre objectif est de cibler deux tourbillons, un cyclonique (tournant dans le sens des aiguilles d’une montre) et un anticyclonique (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre). La zone frontale qui est située entre ces 2 tourbillons est également très intéressante car les courants inverses créent de fortes turbulences qui ont généralement un impact positif sur la production de phytoplancton et sur le reste du réseau alimentaire par un effet de dominos.

Des cartes récentes du niveau de la mer indiquent la présence d’un grand tourbillon cyclonique à l’est de la partie sud de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie (en bleu sur la carte du niveau de la mer ci-dessous) qui est caractérisé par des eaux froides. Nous prévoyons donc d’aller explorer la structure physique, chimique et biologique de ce tourbillon ainsi que du tourbillon anticyclonique adjacent et de la zone frontale entre les deux où la concentration de chlorophylle apparait plus forte d’après les images satellites.

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Le long du trajet de la campagne nous réaliserons des arrêts de plusieurs heures pour collecter des données et des échantillons. Les stations d’échantillonnage sont prévues sur le bord des tourbillons, en leur centre et en-dehors des tourbillons. Des données vont également être enregistrées en continue le long du trajet.

Comme pour les Nectalis précédentes nous allons collecter des données d’océanographie physique et de chimie:

  • température et salinité de la surface de la mer en continue le long du trajet
  • à chaque station d’échantillonnage nous descendrons une CTD (Conductivité, température, profondeur) jusqu’à 600 m
  • avec la CTD nous avons également 9 bouteilles qui seront fermées à différentes profondeurs pour collecter de l’eau. Nitrates, silicates et phosphates seront mesurés à chaque profondeur en utilisant cette eau.

Pour les paramètres biologiques, à chaque station :

  • à partir des échantillons d’eau, nous mesurerons la quantité de matière organique particulaire (incluant le phytoplancton) et nous ferons des analyses d’isotope stable sur celle-ci,
  • plusieurs pigments phytoplanctoniques seront mesurés tels que la chlorophylle et la phycoérythrine,
  • les bactéries et les cellules du phytoplancton de différentes tailles seront dénombrées,
  • à l’aide d’un filet nous collecterons le zooplancton à différentes profondeurs entre 200 m et la surface pour identifier les organismes, estimer leurs quantités et en mesurer les isotopes stables et le contenu en mercure
  • grâce à un sondeur acoustique appelé le TAPS qui sera descendu à 200 m, nous pourront estimer la quantité de zooplancton dans la colonne d’eau,
  • à l’aide d’un grand filet à micronecton nous collecterons les petits poissons, crustacés et calamars qui constituent le micronecton (2-20 cm de long) à des profondeurs entre 550 m et la surface ; nous les identifierons, les compterons et feront plusieurs types d’analyses (isotopes stables, codage génétique, mercure),
  • enfin, le long du trajet du bateau nous enregistrerons le signal acoustique du micronecton grâce à un échosondeur SIMRAD EK60 pour en estimer les quantités et la distribution spatiale.

Nous allons également conduire de nouvelles mesures pendant cette campagne: l’ADN environnemental (eDNA). En filtrant de l‘eau, nous collectons et analyserons tous les fragments d’ADN perdus par les organismes marins sous forme de fragments d’écailles ou de mucus. En comparant les résultats obtenus à ceux d’une banque de données d’ADN, nous pourrons identifier les organismes qui ont été présents dans l’eau sans avoir à collecter ces organismes. Cette technique est très prometteuse mais elle est toujours en développement et nous allons essayer de démontrer que cette méthode fonctionne.

La campagne Nectalis 4 va commencer le 19 octobre 2015 et notre équipe de scientifiques de la CPS et de l’IRD sera en mer pendant 2 semaines. Nous leur souhaitons bon courage pour cette nouvelle aventure, en particulier quand on sait comment les alizés soufflent sur la Calédonie en ce moment. Nous sommes impatients de partager leurs fascinantes découvertes.

La campagne Nectalis 4 a reçu le soutien financier de l’IRD, la CPS et les AAMP (Agence des Aires Marines Protégées).

 
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